Je ne vais pas faire un article pour décrire ce qu’est censé être une personne Asperger, hypersensible, zèbre, multi-potentiel ou autre. Je ne vais pas non plus donner les ressemblances et les différences entres elles. Je vais juste, humblement, vous partagez mes réflexions à ce sujet.

Je ne suis pas diagnostiquée avec un de ces syndromes. J’ai toujours senti ma différence, je l’ai beaucoup cachée (enfin, c’est ce que je croyais mais ça se voyait quand même ! On m’a toujours qualifiée de « bizarre »…). À plusieurs moments de ma vie, ayant marre de ne pas comprendre, de ne pas être comprise, me sentant extrêmement bête pour certaines choses alors que pour d’autres je vais beaucoup plus loin que la moyenne, j’ai cherché à comprendre. Je me suis renseignée sur le net, dans des livres, j’ai passé des tests anonymes, fiables ou non, mais je n’ai jamais été jusqu’à prendre RDV avec un psy ni un centre spécialisé dans l’autisme. Trop peur du résultat. Dans un sens comme dans l’autre.

Car si j’étais diagnostiquée, je me sentais enfermée dans une case dont je ne pourrais plus sortir, m’identifiant à un syndrome.
Et si on me disait que non, j’étais une vraie neurotypique, cela m’enlevait la légitimité d’être qui je suis, comme je suis, tout simplement.

J’ai donc décidé d’être simplement « différente ». Mais qu’est-ce qu’être différente ? Je suis différente de l’autre, tout comme l’autre est différent de moi. Qui n’est pas différent ? La normalité est un concept virtuel, une statistique. Et bien souvent un dogme auquel chacun essaie de se « conformer » pour être « intégré ». Je ne sais pas vous, mais moi, ça ne me fait pas rêver 😉

Mais se trouver une « case », parfois, ça aide

Je pense qu’être diagnostiqué peut aider, dans certains cas. Julie Dachez l’explique très bien dans la BD qu’elle a écrite, La Différence Invisible [1]. Cela peut permettre de se sentir légitime d’être soi et de s’accepter : « Oui, c’est normal d’être anormal ».

Mais, il faut également faire attention à ne pas tomber dans le piège de l’identification et du défaitisme. Non, nous n’avons pas à « guérir » de notre différence fondamentale qui n’est pas une maladie mais une part de nous. Mais nous pouvons guérir des peurs qui nous pourrissent la vie et des symptômes handicapants, pour vivre les bienfaits de cette part de nous, pleinement et joyeusement.

Se cacher, s’adapter, se conformer…

Pendant longtemps, il s’est agi pour moi de cacher ma différence.

Enfant, très tôt, j’ai entendu parlé de l’autisme et de la sur-douance, j’ai entendu des doutes de certains sur le fait que je le sois, et j’ai entendu parlé de « mise à l’écart ». Je ne sais plus d’où cela vient, ni de qui. Mais « je le savais ». Et je savais que je ne voulais pas être mise à l’écart, avec d’autres enfants « comme moi ». Je voulais vivre dans le même monde que les autres.

Alors, j’ai caché ma différence, le plus possible. J’ai fait exprès de ne pas répondre à certaines questions lors des tests de QI pour avoir un résultat dans la norme. J’ai beaucoup étudié les autres, leur comportement, leur raisonnement, pour essayer de les comprendre, de les reproduire, et savoir comment répondre aux tests de personnalité pour paraître normale. J’ai caché mes émotions et ma sensibilité. J’ai refoulé mon stress qui me faisait avoir des crises lorsque je perdais aux jeux sans comprendre où ma logique avait péché. J’ai évité de parler de certains sujets, surtout quand on s’étonnait de la façon dont je m’exprimais, « trop » mûre pour mon âge. J’ai caché certains centres d’intérêts. J’ai modifié ma façon de parler, ai utilisé plus d’expressions et du langage noté « populaire » dans le dictionnaire que j’aimais lire. J’ai utilisé des expressions ou mots dans des contextes que je savais étymologiquement ou historiquement faux, mais convenus. J’ai fait semblant de ne pas comprendre des choses que je comprenais. J’ai évité « d’étaler ma science » comme on me le reprochait parfois. J’ai fait semblant de comprendre des choses que je ne comprenais pas, puis cherchais seule à comprendre. J’ai passé des heures seule dans les toilettes, au point que mes parents croyaient que j’avais des problèmes de digestion, juste pour être seule dans un endroit calme où personne ne pouvait entrer. J’ai caché mon stress intense de l’imprévu, des trajets, des voyages. J’ai souri ou rien dit quand j’entendais des blagues parlant de faire du mal à des êtres vivants, mais pas sérieusement hein, c’est une blague on ne le fera pas (alors que ça me heurte, un truc de fou). J’ai arrêté de dire que les plantes sont vivantes. J’ai arrêté de dire, ou même de me croire, lorsque je percevais des choses que d’autres ne percevaient pas. J’ai cherché à comprendre la logique des gens, à comprendre leur façon de parler, pour m’y conformer et être comprise. J’ai appris à faire ma bulle de silence, même quand il y avait du bruit autour. J’ai appris à prendre sur moi, à m’éteindre, quand « c’était trop ».

Certains de ses comportements étaient destructeurs pour moi. Comme refouler mes émotions intenses, au point qu’à moment donné, je ne les ressentais même plus. Et que j’avais, réellement cette fois, des problèmes de digestion, des migraines, et des problèmes dus au stress que mon corps absorbait.

D’autres m’ont permis de découvrir certaines capacités. Notamment mon amour de la pensée humaine. Des différences de chacun. J’adore essayer de comprendre la façon de penser des gens. Suivre leur raisonnement, être étonnée de la façon dont ils agencent les idées, m’émerveiller de la différence subtile de compréhension, de logique. Et voir le comportement qui en résulte. Personne n’est « normal ». Chacun est différent, et c’est magique. J’en ai les larmes aux yeux tellement je trouve ça beau. Bon, ça l’est moins lorsqu’ils sont totalement enfermés dans leurs opinions, hermétiques (oui, je sais, ça n’est pas une bonne utilisation du terme « hermétique », relatif à Hermès et aux secrets initiatiques, donc à connotation sage et positive. Mais c’est dans ce sens obtus et péjoratif qu’il est convenu d’utiliser ce terme, donc…) à tout ce qui n’entre pas dans leur logique, et/ou pensant que les autres sont simplement cons de ne pas penser comme eux… Mais là encore, je suis persuadée qu’au fond, ils sont beaux. Il y a juste une peur coincée quelque part, qui bloque leur pensée dans un cercle.

S’accepter, se transformer

Comprendre que j’étais peut-être neuroatypique m’a donné une explication à certaines de mes difficultés. Cela me permet de ne plus (ou moins) me flageller lorsque je ressens un ras-de-marée émotionnel, stresse avant un rendez-vous, ne suis pas comprise ou ne comprends pas ce qu’on me dit, n’ai pas envie d’aller à une soirée ou ai besoin de solitude.

Mais je ne veux pas le prendre comme une excuse.

Car dans mon cas, beaucoup de ces comportements sont des sécurités, des garde-fous, des réactions et protections face à quelque chose qui me fait peur. Et je n’aime pas avoir peur. Je ne veux pas laisser la peur gagner, me dicter ma vie et mes choix. Même avant de mettre, en partie, peut-être, un nom sur ma différence, ce n’était pas une option pour moi.

Alors, dès l’adolescence, j’ai décidé de transformer ces peurs. Et il y en a beaucoup, et elles sont irraisonnables, donc il y a du boulot. Mais quand quelque chose m’intéresse, je peux m’y plonger corps et âme. Je vois cela comme un défi, un entraînement. Je muscle ma volonté, ma force, comme d’autres musclent leur corps. J’assouplis ma pensée, comme d’autres assouplissent leurs membres. Je mets en lumière mes sentiments, pour voir l’amour à travers, comme d’autres nettoient les vitres 😉

Je me suis mise et me mets donc régulièrement dans des situations stressantes pour moi, me demandant de me dépasser, de dépasser mes peurs et mes limites. Parfois de façon un peu téméraire, c’est vrai, mais généralement de façon raisonnée et progressive. Cela dépend de la peur en question… Par exemple, concernant la peur de voyager (me perdre, être en retard…), je me suis donnée des défis : partir sans avoir regardé la route avant et sans GPS, ne pas rouler vite si je suis en retard à un RDV (car si je fais un accident, je serai encore plus en retard ! Et vaut mieux arriver en retard que mourir sur la route…), partir en voyage en train sans prendre de billet de retour, partir en voyage sans avoir réservé de logement à l’avance, commencer le chemin de Compostelle, seule avec mon sac à dos et une carte, etc.

Et cela m’apprend beaucoup ! Par exemple, à chaque fois que je suis en retard et que je suis ok avec ça, je m’aperçois que j’arrive « au bon moment ». Car mon RDV avait aussi du retard, ou le patient d’après est arrivé en avance et a pu passer avant, ou l’ami a pu finir un travail avant que j’arrive, ou a rencontré quelqu’un d’autre avec qui il a pu prendre le temps d’échanger, etc. Et cela même sans avoir prévenu, car je n’ai plus de téléphone portable pour enlever cette fausse sécurité, et pour d’autres raisons (cf. article « Ma vie sans téléphone portable »).

Cela m’a aussi aidé à combattre ma peur des relations sociales en arrêtant les textos si pratiques pour se cacher. J’ai privilégié le téléphone (fixe) et les relations « en vrai ». J’ai pris des cours de théâtre, de musique, de chant, de danse. J’ai chanté et dansé sur scène. J’ai donné des cours d’art plastique à des enfants (moi qui avais une peur phobique de ces petits êtres turbulents, imprévisibles et bruyants). Je suis devenue conteuse, plus pour adultes que pour enfants, mais il y en a toujours 😉 Je me produis en spectacle, en conte, en danse, en slam. C’est un de mes métiers. Et là, je me lance dans le chant.

Les relations sont toujours un défi pour moi. J’ai toujours un trac fou avant de monter sur scène. Je stresse et relis mes notes, que je connais pourtant par cœur, toute la semaine précédant le spectacle. Je lutte jusqu’au dernier moment pour ne pas annuler. Mais j’adore partager ces moments avec les gens. Sentir que quelque chose se passe entre nous, que quelque chose se passe en eux. Que l’on arrive à communiquer autrement.

J’apprends aussi à mieux maîtriser mes émotions. Je « m’interdis » de refouler, mais j’essaie aussi de ne pas les déverser sur les autres. En fait, j’apprends à ne plus m’y identifier ni m’y noyer, à identifier la peur derrière et à la dévitaliser. Ce n’est pas simple, et encore moins du fait de cette « atypie », mais c’est faisable, avec peut-être plus de temps que la moyenne et surtout de la bienveillance envers soi.

Je découvre des peurs et des instincts de survie très ancrés en moi, qui créent tout ce stress. Mais ces peurs, ce n’est pas moi.

Ma façon de penser singulière, ma façon de voir les choses, mon amour, mon émerveillement, ma capacité à transformer mes limites en courage et mes peurs en forces… ça, c’est moi. Elle est là, mon atypie.

Ce n’est pas mon comportement ni mes peurs ni un quelconque syndrome.

Dans le même temps, j’apprends à plus me respecter. Par exemple dans mon besoin de solitude, de repos et de créativité. Je ne suis pas aussi réactive que d’autres, je ne suis pas toujours disponible, j’ai parfois besoin d’être seule, j’ai besoin de mon cocon, je n’ai pas toujours envie de voir du monde, je suis plutôt perfectionniste, j’ai besoin de temps et de comprendre les tenants et aboutissants pour prendre mes décisions, j’ai besoin de « sentir » quand c’est le moment pour moi de faire les choses, je préfère dormir seule… Je l’assume plus et je le dis à mon entourage, qui l’accepte aussi. Bon, c’est vrai qu’avoir atterri « par hasard » dans un village où il y a une proportion de gens atypiques, voire neuroatypiques, bien plus élevée que la moyenne, ça aide pour être respectée à ce niveau…

Je dis « par hasard », car c’est quand même une méditation qui m’a fait atterrir là… Un autre défi que j’ai relevé en venant ici sans l’avoir contrôlé ! 😉 Ça, je n’aurai jamais été capable de le faire il y a quelques années… Même changer de ville pour celle d’à côté c’était difficile !

Je suis également plus respectueuse de mes valeurs et de mes ressentis. Je ne ris ou ne souris plus aux blagues que je trouve déplacées, irrespectueuses, porteuses de valeurs contraires aux miennes et à ce qui me semble une évolution bienveillante de l’humanité. Je ne joue plus aux jeux de séduction. Je dis que les plantes sont vivantes et ont leur forme de ressenti et d’intelligence. Je lutte contre mon réflexe de m’adapter à l’autre et de me cacher derrière une façade « acceptable ». Je mets ma vie en adéquation avec mes valeurs, mes ressentis et mes besoins. Et tant pis si on ne me trouve pas drôle ou bizarre. Au moins, ceux qui restent sont ceux qui m’acceptent vraiment pour qui je suis.

Quelques lectures et outils

Voici quelques lectures et outils qui m’ont aidé et m’aident encore :

  1. La Différence Invisible, de Julie Dachez, illustrée par Mademoiselle Caroline (ce n’est pas moi !) aux Éditions Delcourt. Voir également ses vidéos en tant que « Super Pépette » sur sa chaîne Youtube.
  2. Les Émotions – Enquête et Mode d’Emploi, de Artmella, aux Éditions Pour Penser. Une BD qui explore sur 3 tomes les émotions, comment les reconnaître, les ressentir, les accepter, les comprendre et voir les messages qu’elles cachent. Très ludique et facile d’accès, pour adultes et enfants !
  3. La solution « NERTI », de Luc Geiger, aux Éditions Thierry Soucard. Une méthode qui permet de travailler sur des peurs phobiques, irraisonnables, en s’adressant directement au cerveau reptilien. Elle m’a aidé à fortement diminuer le vertige que je ressentais…

Slam

J’ai écrit un slam sur ce thème, que voici : Normalité/Différence

Enjoy and be yourself ! 😉

Image d’entête : © MonikaP – Pixabay

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