Rien vu, rien entendu…, c’est le titre d’un livre auquel j’ai participé en 2012 en tant qu’illustratrice au sein du collectif Les Moutons Noirs, aux éditions Les Points sur les i – 1. Ce collectif avait été initié par Sandrine Apers, alors présidente de l’association Le Monde à Travers un Regard, pour dénoncer et défendre contre ce que nous voyions comme des injustices, des aberrations, des atrocités. Ce livre, lui, était une dénonciation de la pédocriminalité avec des histoires, des témoignages, des chiffres. Pour qu’on ne fasse plus comme si on n’avait « rien vu, rien entendu » . Car il n’y a rien de pire, quand on est victime d’oppression, d’injustice, de crime, que de voir les gens autour détourner les yeux. Surtout nos proches, ceux qui disent nous aimer et sont censés nous protéger. Et pourtant, c’est tellement courant dans notre société que c’est devenu un mode de vie, soit de façon affirmée, soit sous prétexte de « bienveillance » et « d’acceptation » de chacun.

« Prendre partie »

Depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, je n’ai jamais accepté que des gens fassent du mal à d’autres. D’autant plus si c’était mes ami-e-s… qui faisaient du mal ou à qui on en faisait. J’ai toujours (là encore, d’après mes souvenirs) dit ce que j’en pensais, que je n’étais pas en accord avec cela. J’ai toujours défendu, à ma façon, avec mes moyens, celui ou celle qui était « victime »… parfois maladroitement, en me mettant dans la posture du sauveur, parfois de façon plus juste ! 😉 Et si je connaissais celui ou celle qui faisait du mal, je ne me privais pas de lui dire que je ne trouvais pas cela digne de lui/elle, sans l’accabler ni le réduire à cet acte mais en étant “objectif”, et qu’il/elle ferait bien de se remettre en question, demander pardon et réparer si possible. Car sinon, notre amitié en serait affectée.

Je ne peux cautionner qu’on fasse du mal consciemment, et je ne peux côtoyer qui le fait.
Je ne peux me dire « ami » de quelqu’un si je le laisse faire ce qui me paraît inhumain, indigne de lui.
Je ne peux me dire « ami » de quelqu’un si je le laisse se battre seul alors que je pourrais lui apporter mon soutien.
Ce n’est pas moi.

Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs, et de faire du mal à d’autres. Souvent parce que nous même n’allons pas bien, nous sommes perdus, ou avons agi de façon inconsciente en étant régi par nos émotions, nos blessures. Il se peut même que nous ayons eu l’impression de bien faire, mais que même si la cause était juste, les actes ne l’étaient pas. Et c’est ok. C’est humain. Ce qui ne l’est pas, c’est de ne pas se remettre en question, de ne pas demander pardon, de ne pas réparer l’erreur, ou du moins le tenter du fond du cœur.

Mais je vois avec stupeur que ce n’est pas si répandu… C’est le fameux « rien vu, rien entendu ». Plutôt que d’affirmer ses valeurs, il est répondu «Je ne prends pas partie ». Mais si ! Si on accepte que quelqu’un fasse du mal à quelqu’un d’autre, on prend son parti, vu qu’on laisse faire. Et détourner les yeux, c’est accepter.

Syndrôme du sauveur de la veuve et l’opprimé

Petite parenthèse pour souligner un point important : il ne s’agit pas de se lancer dans la “grande et belle mission” de sauver la veuve et l’opprimé partout, tout le temps, dès qu’on entend un truc qui peut-être, éventuellement, il paraît, que lui c’est un grand méchant et l’autre un pauvre bichon.

Attention aux rumeurs, déformations, mauvaises langues, agresseurs déguisés en victimes, etc.

Il ne s’agit pas non plus de s’immiscer dans des petits différends pour lesquels personne ne nous a rien demandé, sans rien connaître de la situation ou avec une connaissance partielle des évènements.

Donc en clair : avant de s’en mêler, on fait son enquête, puis on reste axés sur les valeurs et les faits, on ne juge pas les personnes, mais les actes, et on écoute toutes les parties. En restant ouvert au fait que généralement, quand il s’agit de plusieurs adultes, ils sont tous plus ou moins oppresseur de l’autre et opprimé par l’autre. Mais il faut bien choisir une situation de départ pour démêler le chmilblick et permettre à tous de se remettre en question.

Je referme la parenthèse.

Dans quel monde voulons-nous vivre ?

Car dans le cas où on est spectateur d’une situation « oppresseur/opprimé » avérée, il y a pour moi une question essentielle à se poser : « Dans quel monde je veux vivre ? ».

  • Est-ce que je veux vivre dans un monde où cela est accepté, normal, de se faire opprimer ou d’opprimer sans que personne autour ne réagisse ?
  • Ou dans un monde où on encourage les deux acteurs de la situation à se remettre en question et à régler leur différend d’une façon saine et bienveillante ?

Pour moi, c’est la réponse 2 !

Et être « bienveillant », ce n’est pas accepter le comportement de chacun sans rien dire, sous prétexte que chacun « a le droit » d’être comme il est ou de réagir d’une certaine façon.

Prenons un exemple :

A et B étaient en couple et habitaient ensemble dans l’appartement de B, que A a participé à rénover et pour lequel elle lui payait un loyer, sans qu’un bail n’ait été signé. B a été diagnostiqué d’un cancer de l’estomac à un stade avancé. A s’est occupé de lui de son mieux et B lui en était reconnaissant. Mais il ne souhaitait plus être en couple avec A, et il l’a quitté. A a demandé à B s’il était d’accord pour qu’elle reste habiter là le temps de trouver un autre appartement, dans cette grande ville où les locations sont rares et chères. B a accepté. Mais environ 3 semaines plus tard, ils se sont disputés. B a appelé la police pour expulser A de « chez lui », un soir de semaine à minuit. Des amies sont venues aider A à emporter les quelques affaires qu’elle avait empaqueté en urgence et déposé sur le trottoir, et l’ont hébergé quelques jours.

Je pense que A et B ont tous les deux des torts, et tous les deux des « circonstances atténuantes ».

Mais ce que certains prennent pour de la « bienveillance », serait de dire «Oui, mais B est en train de se battre contre un cancer, il a les émotions en vrac, ça se comprend ». Oui… Mais est-ce une raison pour être odieux ? Est-ce que, parce qu’on est malheureux, on doit faire du mal aux autres ? Ces circonstances peuvent effectivement aider à lui pardonner… mais cela n’enlève rien au mal qu’il a fait, et ne le dispense pas d’en prendre conscience, de demander pardon et de chercher à réparer les dégâts qu’il a causé chez l’autre !

Et A a sûrement aussi des torts à d’autres endroits et/ou des choses à comprendre de cette situation. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit la laisser se débrouiller seule avec cela ! Matériellement et psychologiquement. C’est traumatisant de se faire jeter à la porte de chez soi par la police, sur demande de l’homme avec qui on partageait sa vie depuis plusieurs années. Entendre de la part d’amis : «Je ne prends pas partie, c’est entre vous, moi je continue à faire comme si de rien n’était », ça signifie « On peut te faire du mal, je m’en fous, je ne t’aiderais pas, je ne te défendrais pas ». C’est vachement rassurant non ? On a l’impression de compter pour l’autre et d’avoir beaucoup de valeur à ses yeux n’est-ce pas ?

L’instinct

Je ne dis pas qu’il faille se jeter sur l’agresseur et devenir agresseur à notre tour. Ni de devenir le sauveur de l’opprimé. Il ne s’agit pas de « juger » l’autre non plus. Il s’agit d’affirmer ce que l’on pense de ce qui est fait et de ce qui est dit. Car si on ne dit rien, cela équivaut à dire : «Tu peux faire tout le mal que tu veux à qui que ce soit, ça me va. Du moment que ce n’est pas à moi ! ». Et c’est une forme de lâcheté.

Car s’affirmer demande de se mettre en danger, de risquer de devenir la prochaine victime de cet agresseur. C’est se tenir droit face à l’agresseur.
Ne rien dire, c’est dire à cet agresseur «Moi, je ne suis pas un danger pour toi, tu n’as pas à me faire de mal ». C’est reculer, se soumettre.
Et agresser, c’est avancer vers l’agresseur, et entrer dans un combat de pouvoir.
Tout cela, au final, est très instinctif, animal. Lequel sera le chef de meute ? Qui protégera les plus faibles de la meute ? Pourquoi ou pour qui serions-nous prêt à nous mettre en danger ?

Si on se sent fort, on avancera ou on s’affirmera. Si on se sent faible, on reculera, et on donnera d’autant plus de force à l’autre.

Car reculer face à l’injustice, c’est un piège. L’instinct nous fait croire que reculer nous protègera, mais en vérité cela dira à l’autre qu’il est plus fort que nous et que nous sommes à sa merci.

Il est connu que face à un animal agressif, reculer est ce qui le poussera à nous attaquer. Et l’attaquer, c’est jouer à quitte ou double ! La meilleure attitude consiste à s’affirmer, bien stable, et lui faire comprendre « Je ne t’attaquerai pas, mais je suis fort. Et si tu m’attaques, c’est à tes risques et périls ».

Eh bien, dans le cas où on est spectateur d’une situation « oppresseur/opprimé », c’est pareil ! Sauf que ce n’est pas une question de force physique, mais de force de volonté et de loyauté à ses valeurs.

Et pour se sentir fort, il “suffit” de puiser cette force dans nos valeurs, et dans l’amour que nous portons aux autres. Car c’est par amour que l’on affirme sa position, pour que chacun puisse évoluer et dépasser ce qui le fait agir d’une façon qui ne lui correspond pas ou est injuste. Et aussi pour aider le monde à évoluer vers celui dans lequel nous souhaiterions vivre.

Le “combat” dont il est question ici, n’est pas “contre” l’oppresseur, mais “pour” que chacun y voit clair et puisse avancer.

Car celui ou celle qui est l’oppresseur dans cette situation précise, n’est pas toujours un oppresseur. Il/elle a ce rôle dans cette situation.
Et l’opprimé-e de cette situation n’est pas une pauvre victime ni une blanche colombe exempte de tout tort en toutes situations. Il/elle a ce rôle dans cette situation.
Selon moi, il est très important de garder cela à l’esprit et de ne pas confondre l’individu et le rôle qu’il/elle joue dans cette situation précise.

Ok, on s’affirme, et après ?

Après, c’est réglé !
Non, je plaisante.
Après, on aide l’un et l’autre à comprendre la situation, et à la vivre d’une façon plus saine. Par amitié et par amour pour chacun d’eux.

Reprenons notre exemple avec A et B :

  • si on est proche de B, on peut lui dire clairement ce qu’on pense de ce qu’il a fait. Que c’est odieux, que c’est indigne de lui, et qu’il aurait pu trouver une autre réponse à la situation. On l’aide à en prendre conscience, on l’encourage dans sa remise en question et dans sa recherche de pardon et de réparation. On peut l’aider à soigner la blessure qui l’a poussé à agir de cette façon et réaligner sa vie sur ses compréhensions, pour que cela ne se reproduise plus. Et s’il ne veut pas, ben… moi, perso, j’arrête de le voir en lui disant qu’il pourra me rappeler quand il voudra avancer.
  • si on est proche de A, on peut la soutenir. L’aider à surmonter le choc que la situation a causé, purger les émotions que cela a généré. Puis l’aider à aller voir ce qu’elle peut comprendre de la situation, au-delà des « acteurs » et des émotions. Et enfin à réaligner sa vie sur ces compréhensions, pour que cela ne se reproduise plus. Et si elle ne veut pas, ben… pareil… Je ne peux pas me dire “amie” de quelqu’un si je le laisse se morfondre dans un rôle de victime. Oui, c’est difficile… mais je pense que c’est juste. Et si elle veut en sortir, elle sait que je serai là pour la soutenir !
  • et si on est proche des deux, on fait les deux !

Parce qu’en fait, le but, c’est ça !
La vie nous met face à des situations, des choix, des relations, qui nous font travailler sur nous-même.

Et… si on a été spectateur de cette situation, peut-être que nous aussi avons quelque chose à en apprendre… ? 😇

Renforcer l’amour

Les situations qui nous font mal nous demande généralement de renforcer notre amour, et de ne pas fermer notre cœur, bien au contraire : l’aider à s’ouvrir plus et à devenir plus grand !

C’est ce que j’ai perçu lors de méditations d’ouverture du cœur – 2 et de pardon que j’ai faites dernièrement, concernant tous ceux qui me font du mal directement ou indirectement, souvent parce qu’ils ont peur (au niveau personnel ou en suivant les actuelles injonctions liberticides des autorités par exemple).

C’est une ode à l’amour, un appel à aimer. Avec courage, persévérance.

Pour les autres mais aussi pour soi, car rester dans la rancœur, c’est se faire du mal, s’empêcher d’avancer, de pouvoir goûter vraiment la beauté des choses, la beauté de la vie. Les moments de bonheur sont bien plus intenses quand il n’y a pas de rancœur en nous, quand on est libre de tout cela.

Si l’autre me fait du mal, que m’importe qu’il ne s’en veuille pas, ne me demande pas pardon ? Je ne vais pas m’empoisonner la vie en attendant qu’il ouvre les yeux. C’est plus lui qui est à plaindre car il est coincé dans une peur, et se fait du mal en m’en faisant. Moi, je n’ai pas cette peur qu’il porte et le pousse à me faire du mal. Je ne me laisserai pas atteindre par cette peur. Je ne me laisserai pas atteindre par la rancœur. Je ne lui ferai pas de mal en retour, je resterai moi-même et fidèle à mes valeurs. Je ne me ferai pas de mal en lui en faisant.

Pour cela, il est nécessaire que je sois détachée, que j’aille au-delà des émotions et de la situation. Ainsi, je peux me demander :

  • Sur quoi cela appuie chez moi ?
  • Quel est le miroir que l’autre me tend ?
  • Pourquoi je vis cela maintenant ?
  • Quelle peur suis-je invitée à dépasser ?
  • Quelle qualité suis-je invitée à développer ?
  • Quel mystère suis-je invitée à dévoiler ?
  • Qu’ai-je à en comprendre ?
  • Que pourrai-je faire pour ne pas revivre ce genre de situation ?
  • Comment puis-je réparer les torts que cette erreur, dont je suis totalement ou en partie l’auteur, a causé ?

Idem si c’est moi qui ai causé du tort à d’autres.

Car tout cela n’est qu’une invitation pour m’aider à évoluer, à aller plus loin dans la connaissance de moi-même et m’aider à révéler de nouvelles parts de moi. Alors je peux dire à celui qui me fait du mal : « Merci à toi, qui me mets face à ce que je dois découvrir ! Et je t’encourage également à découvrir ce qui te pousse à agir ainsi et à guérir tes blessures » (oui, ça demande d’être bien bien détaché 😅).

Et d’ajouter, à l’adresse de ceux qui sont spectateurs « sans prendre partie » : « Je vous encourage à affirmer vos valeurs et à les vivre. Vous verrez, on se sent bien mieux, plus présents, forts et entiers ! » et en post-scriptum : « D’autant que cela pourrait aider à démêler le chmilblick ! » 😇

Cœur Power ! 😘

Quelques références :

1 – Rien vu Rien entendu, du Collectif Les Moutons Noirs, Éditions Les Points sur les i.

2 – CD de méditation guidée L’Ouverture du Cœur, de Céline & Pierre Lassalle, Éditions Terre de Lumière. Dans plusieurs livres de ces mêmes auteurs, se trouve une méthode de pardon et de détachement, notamment dans Le Tarot des Héros, chez le même éditeur. Ce tarot peut également aider à comprendre ce qui est en jeu dans la situation (peurs, qualités…).
+ Une autre méthode de pardon que je connais est celle de Lise Bourbeau, à la fin du livre Ton corps dit : Aime-toi, Éditions E.T.C. Ce livre peut aussi aider à comprendre les blessures et besoins cachés par une souffrance devenue physique (maladie, douleur, irritation, blessure, gêne…). Souvent, écouter son corps aide à mettre en lumière certains comportements qui ne nous sont pas ou plus bénéfiques, et éclaire les situations relationnelles que l’on rencontre.

3 – Manga Fly, de Riku Sanjo & Koji Inada, Éditions J’ai Lu Manga (réédité par les éditions Delcourt, sous le nom Dragon Quest – la quête de Daï), où les héros se battent pour leurs valeurs d’amour, d’amitié, de respect. J’adore ce manga que je relis régulièrement depuis l’adolescence 😉

Image de titre : © Alexas_Fotos – Pixabays
Gifs : giphy.com

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